MANEX ERDOZAINTZI

LE PÈRE PIERRE LHANDE

Elgar, 1959ko apirila

Le 17 avril prochain, il fera deux ans que le Père Lhande nous quittait. Désormais, sa grande figure s'inscrit dans la lignée des grands Basques que furent Ignace de Loyola, François Xavier, Olabide, la multitude de Jésuites basques qui, sur le chantier du monde, travaillèrent à bâtir le Royaume de Dieu. A l'intention des lecteurs d'Elgar, voici quelques notes que j'ai pu recueillir soit auprès d'amis que l'ont connu et aimé, soit enfin à l'occasion de quelques lectures, comme des épis de blé glanés de-ci, de-là dans un vaste champ où la moisson a été engrangée.

Pierre Lhande était né à Bayonne, le 9 juillet 1877, au numéro 8 de la rue Argentine. Là, son père tenait un commerce. Il était le troisième d'une famille de cinq enfants: Valentine, Stéphanie, qui entra dans les ordres sous le nom de Soeur Marie-Joseph, décédé à Anglet à l'âge de 23 ans. M. Lhande, devenu veuf, s'était remarié et avait eu trois fils: Pierre, Jean et Marcel, ce dernier décédé il y a un an. Selon les renseignements procurés par M. Gavel, "Lhande n'aurait pas été le véritable nom de famille de l'illustre religieux, mais un surnom qu'aurait reçu son père, et que ensuite, aurait évincé le véritable patronyme, comme cela est si fréquent au Pays Basque, où tant de gens dans la vie courante, et pour des raisons diverses, sont connus sous un autre nom que leur patronyme véritable, réservé aux seuls usages officiels. Quant à ce nom de Lhande, in n'aurait été d'abord qu'une abréviation familière de Allande, forme souletine du prénom Arnaud. Quoi qu'il en soit, si le nom de Lhande, même au Pays Basque, est généralement prononcé à la française, c'est à dire Lande, de vieux Souletins continuaient à y faire entendre une L mouillée, que la graphie Lh, à la gasconne, était d'abord sans doute destinée à représenter".

C'est vers l'âge de sept ans que Pierre Lhande quitta définitivement Bayonne pour retrouver le pays de ses origines et habiter avec sa famille à Sauguis. Ayant débuté ses études à l'Institution Saint-Bernard des Frères des écoles chrétiennes à Bayonne, il les poursuivit au Collège Saint-François de Mauléon. Quand il eut terminé ses études secondaires, il entra au grand Séminaire de Bayonne. Cette époque comportait d'autres exigences que celle d'aujourd'hui. Des idées nouvelles se faisaient jour, qui devaient se systématiser dans le modernisme. D'où un certain durcissement dans l'enseignement de la doctrine. Ce qui importait avant tout dans un Séminaire, c'était d'assurer aux séminaristes une formation théologique solide et rigoureuse. L'enseignement restait tout à fait traditionnel. Le candidat au sacerdoce devait réserver toutes ses capacités intellectuelles pour la seule théologie, la conaissance culturelle passant au second plan. L'esprit basque, beaucoup plus poétique, me semble-t-il, que spéculatif, devait se sentir quelque peu à l'étroit dans une discipline de l'esprit aussi rigoureuse. Or, Pierre Lhande avait une âme profondément poétique. Aussi était-il attiré par tout ce qui est littérature et spécialement par la poésie. C'est l'époque où lui-même composait des vers, un peu "en contrebande" il faut le dire! Aussi sa vocation fut-elle jugée peu sérieuse; il fut renvoyé. Plus tard, lui-même, avec beaucoup de gaieté et un brin de malice, aimait à raconter comment il avait été invité poliment à quitter le Grand Séminaire pour avoir été surpris en train de recueillir, sur du papier, une inspiration poétique, aux heures où il aurait dû être penché tout suant sur une thèse théologique!

Alors Pierre Lhande frappa chez les Jésuites. Il s'adressa à un Père à qui il avait donné ses poésies. Celui-ci l'envoya à la résidence des Pères Jésuites de Pau, où il fit une retraite de huit jours. C'est là qu'il se décida à reprendre ses études pour devenir prêtre. Voici comment, cinquante ans plus tard, le Père Lhande lui-même rappelait, dans une de ses allocutions, les détails de cette démarche: "Il errait depuis quelques instants dans votre beth ceü de Paü, quand une humble femme du quartier qu'il interrogeait sur son chemin, lui dit: "Vous cherchez la résidence: Elle est à deux pas d'ici... Vous verrez sur le fronton de l'Eglise une Vierge. Oh! La belle Vierge toute souriante! C'est là : un bon frère vous ouvrira..." Guidé ainsi, en y entrant, je savais que j'allais y briser mon coeur... J'avais fait de beaux rêves. Je savais que ces rêves allaient bientôt sans doute se heurter à des sévères réalités. J'avais une mère, la plus aimante des mères, des frères, des soeurs, des amis très chers et qu'il me faudrait leur dire adieu... La vie -m'avait déclaré sentencieusement un de mes confidents- la vie est le naufrage le plus complet de toutes nos illusions. Or, en dépit de ces avertissements, je croyais encore en la vie. Un coeur de vingt ans a de telles réserves d'optiminse en de confiance dans son Etoile...".

Il entra au noviciat des Pères Jésuites et fit sa profession religieuse à Rodez en 1900. C'était l'époque du "Petit Père Combes" qui n'avait rien d'autre à faire que de sauver la nation en mettant les religieux à la porte de leurs maisons et en les expédiant à l'étranger! C'était une façon de s'entraîner, à l'époque, au délicat jeu de la politique! Pierre Lhande partit, lui aussi, en exil, en Belgique, où il fit sa formation littéraire avec un Maître humaniste de l'époque, le Père Longhaye. Ensuite, il étudia la théologie à Enghien et fut ordonné prêtre le 28 août 1910: "Je me reporte à cette journée de mon ordination sacerdotale à Enghien, écrivait-il bien des années après, où, avec tout ce que me restait de ma famille, je m'agenouillai devant l'Evêque, puis me retirai à ma place, les deux mains étroitement liées selon le rite liturgique, avec des bandelettes blanches... Enfant, me disais-je, tu rêves de recevoir de ces mains sacerdotales, mille douceurs: le Bonheur, la Paix, la Bonté... Impossible, elles sont liées. Tu tressailles de penser qu'elles le distribueront, ces mains, le Pain Eucharistique, l'Huile des moribonds, la cire bénite de l'agonie... Impossible, elles sont liées. Mais voici que, sur le geste de l'officiant, les bandelettes continuent à se dérouler, le nouveau prêtre sent tressaillir sous ses doigts ses phalanges délivrées... Et tandis que le choeur chante l'Hymne de la libération, le prêtre de demain mêle sa voix au chant d'allégresse des assistants. Un nouveau prêtre vient de naître dans la sainte Eglise de Dieu...".

OU SON COEUR DE BASQUE S'ATTACHE ET SE MANIFESTE

Au temps où le Père Lhande fit sa philosophie, il alla dans la Péninsuse Ibérique à Puerto Santa Maria, Hernani, Fontarabie où il fut tour à tour régent (profeseur) et directeur spirituel. Il enseigna encore à Sarlat, en Dordogne et au Caousou, à Toulouse. Pendant son séjour en cette ville, en plus de ses activités au Collège, le Père Lhande entreprit une campagne pour faire connaître le Pays Basque, sor art et sa culture. Le Doyen de la Faculté des Lettres était alors le professeur Guy. Selon M. Gavel, "le Père Lhande racontait ainsi sa première entrevue avec le doyen Guy. Celui-ci avait lu ses romans, et imbu des idées qui avaient cours dans le public sur la prétendue uniformité spirituelle imposée aux Jésuites, il ne put s'empêcher de dire au Père Lhande combien il avait été frappé de la persistance de personnalité dont son oeuvre témoignait; faisant allusion au fameux perinde ac cadaver de la règle de Saint Ignace, le P. Lhande lui répondit en riant: "Vous voyez que le cadavre a encore une certaine vie!". Le professeur Guy mit à sa disposition, pour les grandes conférences qu'il donnait chaque semaine, la salle appelée aujourd'hui amphithéâtre Marsan, que à l'époque était la plus vaste des locaux de la Faculté. Mais l'assistance devenait de plus en plus nombreuse, on dut évacuer cette salle pour se transporter au grand amphithéâtre, plus vaste, de la Faculté de Droit.

Déjà à cette époque, le Père Lhande avait exprimé clairement son attachement à la petite patrie dans les ouvrages d'études sociales, comme "Autour d'un foyer basque" (1908), "L'Emigration basque" (1910); dans des romans comme "Mirentchu" (1914), "Bilbilis" plus tard (1925) qui abordent les problèmes et enquiétudes basques. Et lorsque l'Académie de Langue basque fut fondée en 1918-19, le Père Lhande fut nommé comme membre d'honneur pour y représenter le dialecte souletin; le 23 juin, il devenait rédacteur en chef de la revue "Euskara" qui donne le compte rendu des activités de l'Académie. En 1922, il parcourut la Soule pour recueillir une importante documentation sur le poète souletin Etchahun, de Barcus; la première étude fut publiée à la première époque de la revue "Gure Herria".

Est-ce à cause de cette activité basque déployée avec tant de dynamisme et de franchise, qu'un beau jour l'entrée du territoire espagnol lui fut interdite par le gouvernement de Madrid; ou bien à cause de cette sympathie lucide exprimée en des termes non équivoques dans les pages de son ouvrage intitulé: "Notre Soeur latine d'Espagne" (Bloud et Gay, Paris 1919)? Le fait est que cela l'empêcha de l'Académie de la Langue basque (sic). Malgré se rendre chaque mois aux séances de ces difficultés de l'heure et même lorsque d'autres multiples activités le conduisirent â Paris, il ne cessa de travailler avec un inlassable courage à la gloire et au service de la petite patrie, qui lui était si chère. C'est ainsi qu'â partir de 1926 jusqu'en 1938, il entreprit la publication du "Dictionnaire Basque-Français" avec la collaboration des Abbés Aranart et Laffite.

OU SON COEUR D'APOTRE SE DONNE ET SE DEPASSE

Sa fidélité à la petite patrie ne l'a pas empêché d'aimer toutes les patries de la terre. Sans se laisser renfermer dans un attachement excessif, il sut au contraire garder sa liberté pour aimer tous les humains sans partage. Pour les aimer avec un coeur d'apôtre, toujours fidèle à sa mission. C'est cet élan missionnaire que le poussa à parcourir l'Argentine, Madagascar, les Indes... C'est ce même élan qui l'anima dans ses recherches sur la vie religieuse, dans les faubourgs ouvriers de Paris, dont la misère spirituelle obsédait le Cardinal Verdier. De ce travail surgit dans l'Archidiocèse de Paris, l'oeuvre connue du monde entier: "Les Chantiers du Cardinal", dont il fut l'animateur prodigieux. Sous son impulsion, entre 1925 et 1930, 52 églises ou chapelles étaient construites dans la banlieue parisienne; 50 terrains acquis; 90 locaux de patronage; 40 dispensaires; 12 écoles; 8 jardins d'enfants et 14 pouponnières étaient crées. Il fut un pionner. Avec raison, Jesus Maria de Leizaola pouvait écrire dans "Euzko-Deya" du 1er mai 1957: "En considérant l'étendue de cet ouvrage, je dois signaler que le Père Lhande est sans nul doute, un des hommes du dernier demi-siècle de qui restera (en pénombre peut-être, mais réel), à Paris, l'empreinte la plus solide et profonde. Parme d'autres choses, je me rappelle comment le Père Lhande citait les répercussions "urbanistiques" de l'oeuvre qu'il avait promue. C'est que son esprit était sensible à la réelle complexité de ce monde et capable d'amples provisions".

Cette disposition d'un coeur d'apôtre donné toujours davantage lui fit répondre positivement à la demande formulée par la Hiéranchie par l'intermédiaire du chanoine Gerlier. Le Père Lhande écrivait lui-même bien des années après: "Je revois toujours cette soirée d'hiver de l'année 1926 où pour la première fois le chanoine Gerlier -qui devait devenir à peu de temps de là un des plus éminents purpurati de la Sainte Eglise- m'abordait en me disant: Mon père, nous avons songé à l'Archevêché de Paris à vous confier un rôle que nous irait très bien... Nous cherchons en ce moment un prédicateur d'un genre spécial qui saurait s'adapter aux conditions toutes particulières de la radiophonie. Voudriez-vous être cet homme? - Je le veux bien, répondis-je. Parler devant un papier écrit ne paraît guère plus malin que de pérorer devant une grande assistance. En tout cas ce sera moins intimidant.

- C'est bien: répondit mon interlocuteur. Nous vous verrons à l'oeuvre.

J'étais loin de soupçonner à cette heure-là que le Maître de toutes choses m'acheminait par là vers le Ministère qui devait m'occuper durant dix longues années. Un fait demeure: la radiophonie recevait ce jour-là les suffrages de l'Eglise. Quand le 2 février 1927, prêtant mon concours au premier essai de cette modalité inédite de prédication par dessus les toits, je descendis dans la petite catacombe du boulevard Haussmann à Padio-Paris, je n'étais pas sans quelque appréhension. Comment cette parole du prêtre serait-elle reçue dans ces millions de foyers, les uns indifférents, les autres peut-être hostiles, où elle risquait de sonner avec l'accent d'une intruse ou d'une gêneuse."

OU SA VIE D'APOTRE S'OFFRE ET SE PARACHEVE

Il faudrait pouvoir parler de cette dernière étape, crudifiante, de la vie du père Lhande. Mais qui a pu en connaître la profondeur invisible? Il eut une première crise d'anémie cérébrale en 1934. Il s'en releva, mais jamais complètement. Ce qui lui permit de reprendre quelques activités, sans pouvoir jamais retrouver le rythme de travail d'autrefois. Il se sentait ravagé. Malgré cela il gardait la joie. Dans les débuts de sa convalescence, prenant la récréation avec des confrères, il lui arrivait parfois de chopper sur un autre de même assonance. Il s'arrêtait dans sa marche, prenant un air comiquement grave: "Eh voilà, disait-il, le révérend père Lhande, la coqueluche du beau monde! (sic) transit gloria mundi!" Il continuait ainsi sans jamais se plaindre de quoi que ce soit, humblement, simplement, dans la fidélité à sa mission d'apôtre. De même qu'il ne se laissa jamais griser par le succés, au moment où il se sentit arrêté dans son action, il sut garder la joie de trouver dans le Seigneur la force nécessaire pour vivre aussi pleinement, aussi lucidement que les précédentes, la dernière étape de sa vie, celle qui devait parachever sa vie. Ainsi il accomplissait dans sa vie la consigne que l'apôtre Paul donnait un jour aux Chrétiens de la Communauté de Philippe: "Ayez en vous les mêmes sentiments dont était aimé le Christ Jésus. Bien qu'il fût de condition divine, il ne s'est pas cramponné avidement à son égalité avec Dieu, mais il s'est anéanti lui-même en prenant la condition d'esclave, en se rendant semblable aux hommes..., en se faisant obéissant jusqu'à la mort et à la mort de la Croix." (Philippe, II, 5-8). "Pendant près de vingt ans, écrit un témoin, nous l'avons vu assister à la décomposition, pièce par pièce pour ainsi dire, d'un organisme qui portait en lui la promesse d'une plus longue carrière. Au sein de ses souffrances, son intelligence sans éclipse lui laissa jusqu'à la fin, avec le plein et viril sentiment de son mal, la claire vue du terme prochain, et par suite, l'entier mérite de son long sacrifice. Cette existence, à la veille de s'achever, lui apportera l'ultime souffrance dont le paroxysme nous trouble... Et cependant, jamais il ne murmura, ne se plaignit. Tout au plus, à quelques âmes très chères, laissa-t-il deviner quelque chose de son martyre intérieur". C'est au Seigneur, pour qui il avait donné sa vie et dépensé toutes ses énergies, qu'il confia ses grandes souffrances, vécues tout au long de ces vingt années de rencontre et de dialogue secret seul à seul avec son Seigneur! Peu à peu le monde avait oublié le grand et populaire prédicateur! La grande épreuve: il sent ses forces le trahir à tout instant; même avec un papier il lui deviendra impossible de s'exprimer. Une lente paralysie s'empara progressivement de tout son corps. Ce qu'il pouvait encore faire, c'était passer des heures entières, installé à la terrasse de la maison Saint-Antoine de Tardets, contemplant de son regard perçant et lointain le pic d'Orhy, la Vallée d'Alçay... ce pays qui s'apprêtait à recevoir son corps. Et sa contemplation devenait une prière de louange. A partir du 10 avril 1957, les souffrances s'aggravèrent; le 16 dans l'après-midi, il entrait en agonie et le 17 vers une heure du matin, il opérait le grand passage à la vraie Vie.

* * *

Ce ne sont là que quelques notes concernant la vie du révérend père Lhande, transcrites vaille que vaille sur du papier! Pourtant elles voudraient bien susciter chez le lecteur attentif beaucoup plus qu'une vague admiration. Cela nous engage si peu! Elles voudraient susciter chez lui le désir d'entrer en contact avec ce grand Vivant, qui nous reste si présent. Entrer en contact pour engager un dialogue intérieur, et ainsi apprendre les bien belles leçons d'une vie d'apôtre donnée à tous les hommes comme à chaque homme, à cause de son seul Seigneur; pour apprendre encore que la fidélité à sa race, à sa culture et à ses valeurs originelles... ne vient aucunement limiter un coeur généreux, mais bien au contraire lui permet de comprendre bien mieux le monde et les hommes, de se donner aussi sans compter pour travailler à bâtir un monde toujours plus beau, où l'homme connaisse le bonheur et la joie de vivre. Entrer en dialogue avec un tel vivant, c'est aussi vivre en communion avec son âme et avec lui jeter son regard vers le seul Seigneur qui donne Lumière, Force et Vie. Puissions-nous être nous aussi de ceux qui ont des yeux pour voir, des oreilles pour entendre, une intelligence pour penser, des mains pour pétrir et un coeur pour aimer.

Arnaud ERDOZAINCY-ETCHART

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